« Penser par soi-même »

La rÚgle des trois valeurs: Un essai sur la bienséance moderne


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LibertĂ©. ÉgalitĂ©. FraternitĂ©. Au simple son de ces mots, nous voilĂ  transportĂ©s sur des plaines de lumiĂšre pures et douces, bercĂ©s de rires cristallins de bambins innocents. Oser se questionner sur le bien-fondĂ© de ces valeurs absolues et universelles serait un blasphĂšme; ce serait hĂ©rĂ©tique mĂȘme...Soit.

LibertĂ©: État de quelqu’un de libre.




Libre: Qui a le pouvoir d’agir sans contrainte.

L’hĂ©ritage chrĂ©tien est des plus Ă©tranges. MalgrĂ© le rejet brusque et violent que l’on a fait de la religion chrĂ©tienne, le bagage historique y Ă©tant associĂ© nous condamne Ă  en ĂȘtre influencĂ©. Autant que l’on puisse renier Dieu, repousser Dieu, dĂ©nigrer Dieu mĂȘme, les Ă©lĂ©ments plus subtils de cette idĂ©ologie continuent de nous hanter. Non qu’ils soient nĂ©cessairement mauvais, mais ils mĂ©ritent tout de mĂȘme une rĂ©flexion.

Notamment, le concept typiquement chrĂ©tien de l’ñme, ridiculisĂ©e par plusieurs, a nĂ©anmoins rĂ©ussi Ă  s’incruster dans notre mentalitĂ©. En effet, nombreux sont ceux qui, sans s’en rendre compte, croient en une certaine sĂ©paration du corps et de l’esprit, d’un esprit ‘libre arbitre’, par lequel passe notre libertĂ©. Sartre lui-mĂȘme, qui d’un cĂŽtĂ© critiquait la religion et dĂ©truisait la divinitĂ©, affirmait de l’autre Ă  pleins poumons la libertĂ© de l’homme, entiĂšrement responsable de sa destinĂ©e. Pas que l’on puisse lui en vouloir de conserver cet hĂ©ritage; on fait une rĂ©volution Ă  la fois, et c’était l’heure de Dieu qui sonnait. Cependant, le recul nous permet maintenant de questionner ce qui nous semblait auparavant Ă©vident et certain.

La question de l’existence de la libertĂ© fondamentale, de libre arbitre de la volontĂ©, ne sera pas traitĂ©e ici; un essai bien plus long serait nĂ©cessaire. PlutĂŽt, il s’agit de remettre en question ce qui dĂ©coule de cette libertĂ© individuelle, soit la libertĂ© sociale, sociĂ©taire, d’ĂȘtre qui l’on est - celle qu’on ne questionne plus. Cette mĂȘme libertĂ© ayant surgie au lendemain de la RĂ©volution française, en opposition aux excĂšs de l’aristocratie et laissant place Ă  la domination et Ă  la montĂ©e au pouvoir de ceux ayant provoquĂ© la RĂ©volution, la classe marchande.

De nos jours, on affirme haut et fort dĂ©fendre la libertĂ© (d’expression, de choix...d’achat) Ă  tout prix, critiquant et dĂ©nigrant tout ce qui puisse la contraindre. Que cette derniĂšre puisse ĂȘtre, de quelque maniĂšre que ce soit, nĂ©faste ou inappropriĂ©e nous semble absurde. NĂ©anmoins, il nous paraĂźt tout naturel de confiner des criminels Ă  des cellules, ou d’empĂȘcher tel ou tel comportement enfreignant les lois. Et c’est bien normal! Ces lois font partie d’un contrat social (et oui, celui de Rousseau!) qui permet une cohĂ©sion en sociĂ©tĂ©, et les criminels ont Ă©puisĂ© leur libertĂ©; ils avaient, mais ont perdu, ce privilĂšge. Mais si sont permises ces atteintes Ă  la libertĂ©, pourquoi la protĂšge-t-on Ă  tout prix? Pourquoi refuse-t-on, en d’autres cas, de questionner cette valeur apparemment si noble, et de vĂ©rifier si elle est toujours souhaitable?

Semblablement, on se permet de contraindre les actions d’un enfant ou de quelqu’un souffrant d’une dĂ©ficience quelconque, comme s’ils ne remplissaient pas les critĂšres prĂ©-requis pour ĂȘtre libres.
Il serait cependant ridicule d’empĂȘcher quelqu’un de se procurer de l’alcool, de jouer Ă  la loterie, et mĂȘme blasphĂšme d’empĂȘcher quelqu’un, mĂȘme pour son bien, de consommer, exercice par excellence de notre libertĂ© contemporaine!
C’est peut ĂȘtre que la libertĂ© individuelle est devenue essentielle au fonctionnement de notre sociĂ©tĂ© actuelle (lire “au fonctionnement du capitalisme’’), au point qu’elle s’est incrustĂ©e dans notre idĂ©ologie, qu’il est devenu Ă©trange de la questionner.

La libertĂ© des uns s’arrĂȘte lĂ  oĂč commence celle des autres, nous dira-t-on. VoilĂ  une petite phrase bien pratique et vide de sens. OĂč commence celle des autres? Est-elle la mĂȘme pour tout le monde? En posant n’importe quel geste, n’appliquons-nous pas des contraintes autour de nous, autant de contraintes qui pourront ‘brimer‘ la libertĂ© d’autrui? En rĂ©clamant les mĂȘmes droits pour tous - malgrĂ© certains comportements contradictoires - amĂšne-t-on vĂ©ritablement la libertĂ© Ă  tous?

ÉgalitĂ©:
“Principe selon lequel tous les hommes ont les mĂȘmes droits. ModĂ©ration, rĂ©gularitĂ©.”

Contrairement Ă  la libertĂ©, l’égalitĂ© figura comme retour du balancier aprĂšs le christianisme. Une fois la loi divine justifiant les inĂ©galitĂ©s et les disparitĂ©s sociales disparue, un culte absolu, une quĂȘte frĂ©nĂ©tique de l’égalitĂ© totale s’est engagĂ©e. Dans cette vague d’égalitarisme totalitaire, on a cherchĂ© Ă  mettre au mĂȘme niveau tous les individus, hommes, femmes, riches, pauvres, sans se questionner sur l’origine rĂ©elle du prĂ©sumĂ© problĂšme. En effet, on a cherchĂ© Ă  ce que tous soient absolument Ă©gaux, arc-en-ciel fuyant, puisque tous sont fondamentalement diffĂ©rents!
Certes, on dira que bien qu’inaccessible, l’égalitĂ© est un idĂ©al vers lequel on devrait tendre, et cela semblera Ă©vident. Cependant, est-ce vraiment le cas? Doit-on vraiment toujours donner les mĂȘmes droits, et donc les mĂȘmes devoirs et les mĂȘmes responsabilitĂ©s Ă  chacun? Si l’on rĂ©alise le caractĂšre d’unicitĂ© de chaque existence humaine, on rĂ©alise l’absurditĂ© de cette aspiration, pas plus sensĂ©e que de sĂ©parer l’enfant en deux parties Ă©gales, pour reprendre le dilemme classique.

Au lieu de rechercher l’égalitĂ©, recherche trĂšs noble et bien plus justifiĂ©e Ă  l’époque de la RĂ©volution, nous devrions, aujourd’hui, rechercher l’équivalence. Il est aisĂ© de traiter tout le monde de la mĂȘme façon, â€œĂ©galement”, mais n’est-il pas plus souhaitable de considĂ©rer la particularitĂ© de chacun, et d’agir en consĂ©quence? À plusieurs niveaux, l’éducation pourrait profiter d’une rĂ©flexion en ce sens.

En plus, si aucune rĂ©flexion n’est faite, la lutte pour l’égalitĂ© peut facilement contrefaire celle de l’individualitĂ© et de la libertĂ© individuelle. Si l’on fonce aveuglĂ©ment vers l’égalitĂ©, on peut facilement fixer dans l’homme dans un carcan, un moule commun, au nom de cette Ă©galitĂ©, alors que l’on visait justement Ă  libĂ©rer l’homme, et Ă  faire valoir son caractĂšre individuel; la contradiction est Ă©clatante.
C’est d’ailleurs pour rassembler, malgrĂ© cela, la libertĂ© et l’égalitĂ© qu’est venue la clĂŽture de la devise....

Fraternité:
Lien de solidaritĂ©, d’amitiĂ©.

Questionner le bien-fondĂ© de la fraternitĂ© est plus ardu; l’homme, en tant qu’animal social, ne fait que bĂ©nĂ©ficier de ses rapports sociaux, amicaux ou compĂ©titifs. La vĂ©ritable fraternitĂ© permet l’enrichissement de l’humanitĂ©, et ce sans le lourd bagage idĂ©ologique que traĂźnent ses deux camarades. Cependant, ce qui a Ă©tĂ©, et ce qui est toujours justifiĂ© au nom de cette fraternitĂ©, souvent malhonnĂȘtement, pose davantage problĂšme.

Trop souvent, la construction d’une fraternitĂ© se fait entre ĂȘtres semblables, partageant une quelconque ressemblance, qu’elle soit idĂ©ologique, culturelle ou intellectuelle. Jusque-lĂ , tout va bien. Par contre, lorsque cette fraternitĂ© se fait exclusive (trĂšs frĂ©quent lorsque les liens se construisent autour d’une relation de similitude), une xĂ©nophobie, se traduisant par un mĂ©pris et parfois une haine envers ceux hors de la “fraternitĂ©â€, a malheureusement tendance Ă  se mettre en place. Vive la fraternitĂ© certes, mais faisons attention.

En somme, ceci est un appel Ă  la rĂ©flexion. Il ne faut pas y voir d’opinion, ou un refus de ces valeurs; il s’agit plutĂŽt de reconsidĂ©rer ces ‘absolus’ que l’on prend pour acquis, car ce sont les fondations sur lesquelles notre sociĂ©tĂ© se construit. Peut-ĂȘtre sont-ils bien fondĂ©s, probablement mĂȘme, mais n’y a-t-il pas lieu de se questionner?

The Hookah-Smoking Caterpillar

Commentaires

Alice le 08/05/2010 Ă  15h14

Article très intéressant, et très bien écrit! J'ai bien aimé ton explication sur la contradiction qu'apporte la devise de la Révolution française; comment peut-on vraiment croire en l'égalité ET la liberté, si un semble aller nécessairement sans l'autre? Comme tu l'as si bien dit, on devrait plutôt parler d'équivalenece si on croit en la liberté individuelle et son expression. Bref, chapeau!

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