« Penser par soi-même »

Égalité


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1789 fut une date capitale dans l’histoire de la civilisation occidentale. La Révolution française commençait et provoquait la noyade, dans le bain de sang qu’elle allait entraîner, de la plus grande aristocratie d’Europe. Avec l’aristocratie s’effondraient nécessairement les valeurs aristocratiques, la morale du maître, comme disait Nietzsche, laissant la place à la morale de l’esclave. Grandeur, force et noblesse allaient être remplacées par une devise qui ébranlerait la France, l’Europe et l’humanité toute entière, Liberté, égalité, fraternité.

Mais que signifie donc cette devise, qui fut avec la guillotine l’arme principale des révolutionnaires pour instaurer les idées républicaines, idées à la base même de nos démocraties modernes? Je m’attarderai plus particulièrement ici aux idées d’égalité, et dans quelles mesures les idées égalitaires sont-elles possibles et souhaitables.

Définition de l’égalité


L’égalité, dans sa définition classique, se rapporte à ce qui est de même quantité, dimension, nature, qualité ou valeur. Cette notion, telle que l’héritage de la Révolution française la laissa aux sociétés Occidentales, se divise traditionnellement, lorsqu’appliqué aux sociétés humaines, à l’égalité devant la loi, donc de droits, à l’égalité des chances et à l’égalité sociale.

Égalité devant la loi


L’égalité devant la loi, à ses premières origines, fut développée par Clisthène, lors de ses réformes de l’organisation sociale et juridique d’Athènes au VIe siècle avant Jésus - Christ. Son système, appelé isonomie (littéralement égalité devant la loi en grec ancien) assurait une certaine égalité juridique entre athéniens libres, au détriment de l’ancien pouvoir tyrannique et de l’aristocratie. Ce concept fut développé avantage dans le droit romain, qui garantissait l’égalité devant la loi aux citoyens romains, mais encore en excluant une certaine partie de la population, comme les femmes et les non-citoyens.

Mis au placard durant le Moyen Âge et l’ancien régime, ce concept d’égalité devant la loi fut de nouveau développé par les penseurs des lumières et utilisé par les révolutionnaires américains et français. Au cours des XIXe et XXe siècles, on assista à une généralisation de ce principe à toute la société dans les démocraties occidentales, prenant en compte peu à peu les groupes comme les Noirs et les femmes.

Cependant, l’égalité devant la loi pose deux problèmes majeurs. Premièrement, elle entraîne irrémédiablement une inégalité sur le plan socio-économique, car traitant également des individus aux capacités et aux moyens différents. On oppose alors l’égalité des droits et l’égalité des résultats. L’autre problématique posée par l’application du concept dans les démocraties actuelles est l’inégalité de représentation au point de vue juridique, car si tous ont les mêmes droits, tous ne peuvent, quoiqu’on en dise, se payer une défense égale devant les tribunaux, ce qui engendre une contradiction bien présente, mais peu soulignée, qui relativise fortement l’égalité devant la loi en la subordonnant à la condition économique des individus.

Égalité des chances


L’égalité des chances, quant à elle, est un concept qui place les capacités et le mérite de l’individu comme critères principaux de ses possibilités sociales, et non plus ses origines, son sexe ou autre critère échappant au contrôle de l’individu. Selon John Rawls, théoriciens de la justice, les différentes inégalités sociales ne doivent être tolérées qui si elles sont le résultat d’une compétition entre individus dans laquelle seule l’effort et le talent sont pris en compte, ce qui correspond au principe d’équité (justice distributive d’Aristote), ou si elles peuvent bénéficier aux plus défavorisés.

Ce concept d’égalité des chances, fort logique à première vue, entraîne cependant plusieurs problématiques. Premièrement, l’institution d’une méritocratie, régime basé sur le mérite, est impossible, car les individus sont dotés de différentes capacités, on parlera alors de méritocratie capacitable. Cependant, pour permettre la constitution de ce type de régime social, cette république parfaite, il faut supprimer tous les autres facteurs qui pourraient influencer les individus dans leurs possibilités de réussite, comme le milieu social, culturel et familial. Il reviendrait donc à l’État de décider et d’organiser la vie de la population de manière à ce que ce principe soit respecté, ce qui entraînerait inévitablement une restriction des libertés individuelles et un monopole dangereux des détenteurs du pouvoir sur les ressources essentielles et sur le mode de vie général de la population.

D’un point de vue plus modéré, l’égalité des chances souhaitée nécessiterait, même dans son application la plus minimale, une forte intervention de l’État dans l’organisation des ressources, ce qui dans une démocratie, combiné à la mauvaise gestion des ressources inhérentes à tout système bureaucratiquement lourd, entraînerait et surtout dans les mauvaises périodes économiques, une augmentation de la dette publique et donc la compromission des services visant cette même égalité dans le futur.

Égalité sociale


Les différents types d’égalité et mesures sociales visent pour la plupart ce qu’on appelle l’égalité sociale. Cette égalité peut être définie de plusieurs façons. On peut la restreindre à l’égalité devant la loi, à l’égalité des chances, mais aussi la portée à un autre niveau, celui de l’égalité des résultats ou des ressources. L’égalité des résultantes est définie comme l’uniformisation du statut social et économique des individus. Cet égalitarisme entraîne nécessairement une violation des premiers principes de l’égalité, soit l’égalité devant la loi et l’égalité des chances, car en tentant d’obtenir une égalité totale dans les conditions de la population, on ne peut qu’entrer en conflit avec les notions de liberté, cette dernière provoquant nécessairement des inégalités au point de vue social. Cette égalité sociale, ou égalitarisme, est donc opposée au principe d’équité, où tout le monde reçoit les fruits de sa contribution, principe cependant jugé à la base des concepts d’égalité et de justice.

Équité ou égalitarisme


L’égalitarisme se pose donc comme ayant pour but une répartition égale des richesses, mais par contre une répartition qui n’est pas proportionnelle au mérite ni au talent de chacun. On parlera donc ici de médiocratie, car dans un contexte où l’effort individualiste n’est plus valorisé, l’individu lui-même ne voit plus les avantages qu’il pourrait tiré des propres gains qu’il aurait la possibilité de réaliser. Par exemple, dans la majorité des régimes communistes, on a assisté à une baisse générale de la production, production qui a dû être remise sur les rails par des moyens autoritaires.

Justification de l’égalité


Le concept d’égalité entre les hommes est arrivé assez tardivement dans l’histoire. Il faut attendre les premières manifestations du Christianisme pour voir émerger les bases de la conception de l’égalité humaine. Cette égalité entre les hommes est basée sur une égalité par rapport à Dieu, présupposant la présence de l’âme, dans sa conception chrétienne. C’est cette âme uniquement qui fait des hommes des êtres fondamentalement égaux.

Sans cette âme, sans cette substance qui est une condition sine qua non à l’égale évaluation des humains, une égalité dans la théorie et encore plus dans la pratique semble absurde et ne relever que de l’arbitraire. C’est une contradiction qui est bien présente dans les fondements de l’idéologie de l’égalité telle que vue par les philosophes des lumières, car en rejetant la religion, ils ont par le fait même rejeté la seule raison logiquement légitime à une certaine forme d’égalité entre les hommes. Cette contradiction semble de plus en plus s’affirmer dans les sociétés modernes postrévolutionnaires, où parallèlement à une affirmation de l’égalisation croissante de la population s’opère une négation des anciennes valeurs chrétiennes.

Cette égalité tant prônée est alors seulement le pur produit de l’arbitraire humain, ou de la volonté de l’homme moyen de s’affirmer par rapport à son supérieur, l’égalité ne profitant jamais à celui qui occupe le sommet de la hiérarchie, mais toujours à celui qui occupe une plus basse échelle.

Alors que la révolution opère principalement par le renversement d’une classe dominante et l’établissement d’une nouvelle classe plus apte à diriger, le procédé de l’égalisation de la société ne fait que ramener au même niveau tous les individus par une dictature de la majorité médiocre, par la démocratie. Cette nouvelle dictature, de par sa nature majoritaire, ne tolère donc plus aucun écart, non pas de conduite, mais de valeur, la contestation n’étant plus le principal crime posé contre elle, mais beaucoup plus l’élévation, seule véritable contestation contre une idéologie égalitarisante, qui ne voient plus la grandeur comme un objectif à atteindre, mais comme un ennemi à abattre, l’homme du commun et son bonheur étant devenu le seul objectif légitime de toute action.

Olivier Djoufo

Commentaires

Renaud Bouret le 09/05/2010 Ă  05h19

Dans les sociétés en voie d'émancipation, cette poursuite de l'égalité passe par le droit du peuple à l'éducation et à l'excellence. Dans nos sociétés individualistes et consuméristes, l'amour de l'égalité s'est transformé en une obsession maladive, dont le seul remède est le nivellement par le bas. Grandeur et décadence de Ratopolis.

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