Lettre à un ami révolutionnaire
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L’occident postrévolutionnaire – que nous pourrions situer comme suivant la chute du mur de Berlin, évènement symbolique perçu comme l’annonce de l’écroulement du bloc communiste – devint la société la plus stable jusqu’à ce jour; son apparition coïncidant avec l’érosion de l’idéal du changement. Cette nouvelle société occidentale, passée l’ère des révolutions, rejette le héros, l’idole sacrificielle du combat et élève l’individu autonome et égalisé au rang de nouvelle aspiration. Cette substitution du modèle illustre les changements inédits qui ont transformé l’occident depuis la révolution française. L’homme n’accepte plus de maître mais se soumet aux barreaux des idéaux des Lumières qui délimitent sa pensée et restreignent ses gestes.
Les monarchies ont perduré pendant des siècles, mais n’ont pas su mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer la pérennité de cette organisation sociale. Les dictatures ont assis leur pouvoir sur des mesures de répressions et d’importantes campagnes de propagandes. Les régimes autoritaires, aspirant à l’immuabilité de leur système social, ont développé des mécanismes de contrôle – que ce soit par la censure ou la persécution – de leurs opposants. Pourtant, aucun de ces outils de répressions n’a réussi à prémunir les organes du pouvoir de la chute.
Il faudra ainsi attendre l’avènement de la postmodernité pour trouver de nouvelles armes pour assurer l’inertie sociale et la stabilité immuable d’une société libre et égalitaire. N’y voyez pas l’annonce d’un nouveau 1984. Le contrôle ne passe plus par un vaste réseau de dénonciateurs ou la peur de mesures disciplinaires répressives. Le troupeau n’a plus besoin d’un berger pour le diriger; tous se complaisent dans le rôle de la bête cornue et se soumettent aux barrières qu’on leur a bâties… que nous nous sommes bâties.
Les nouvelles mesures de contrôle et d’érosion idéologique ne sont plus mises en place par une caste dirigeante; elles sont le résultat d’une société héritée de l’idéal des Lumières à l’exception prêt que la liberté et plus particulièrement l’égalité a mené à la mort de la fraternité. Les valeurs démocratiques sont la première cause de la stabilité de la société occidentale postrévolutionnaire. L’ordre nait de la reconnaissance des possesseurs du pouvoir politique. Le carcan des sociétés démocratiques, qui, comme tout système social, délimite le parc humain et ses champs de possibilités, parvient à neutraliser toute dynamique de soumission des masses à une autorité dirigeante supérieure en faisant de ces mêmes masses les nouveaux détenteurs du pouvoir. Avec le rejet de l’organisation sociale hiérarchisée, les masses ont perdu la capacité de renverser l’ordre établi au profit d’une nouvelle dynamique sociale résultant de la transformation du système de valeurs auparavant accepté. L’acceptation que l’histoire se construit par opposition idéologique et déchirement social résultant des distinctions hiérarchiques1 implique une stagnation du système de valeur et des mécanismes sociétaux de l’occident postrévolutionnaire. La disparition de l’inégalité comme axiome du système social érode l’un des éléments essentiels au mouvement révolutionnaire : un ennemi commun. Les forces de coercitions autorégulant le système social ne sont plus des individus contre lesquels nous pouvons nous ériger, mais bien un ensemble de contraintes idéologiques délimitant les champs de possibilités jugés acceptables et condamnant les remises en question des barrières.
De plus, les constructions sociales démocratiques érodent les forces individuelles au profit de la volonté collective. L’ordre, en tant que structure régulatrice, suit les fluctuations des mouvements majoritaires et soustrait les forces du changement aux volontés individuelles. L’idéal égalitaire fait ici son œuvre; l’individu n’est plus qu’une voix parmi tant d’autres identiques et dont l’impact s’étiole jusqu’à ne devenir qu’un bulletin de vote. Cette construction collective d’un pouvoir morcelé ne contribue à l’inertie du système qu’à condition que l’individu se replie sur lui-même. Ainsi l’aspiration égalitaire, en plus de justifier le pouvoir de la majorité, entraîne un repliement narcissique sur soi, un individualisme exacerbé2. Ces deux conditions remplies, les forces de changement s’amenuisent jusqu’à se dissiper et disparaître. L’opposition fait certes parti intégrante de l’organisation politique des systèmes démocratiques3, mais elle ne remet pas en question ledit système. La politique se met à la séduction, au culte de la mode et de l’éphémère. Les dernières bribes d’idéologie fluctuent au rythme des sondages et toutes muent, débarrassées de leur peau morte. Il n’y a plus d’opposition idéologique ferme; maintenant, le combat se livre pour le centre, pour les valeurs érodées et consensuelles qui confortent l’individu dans le fard de son reflet. En cette ère de séduction effrénée, il faut plaire en tout temps, en tout lieu et à tous…4
Les forces égalisatrices qui régulent les systèmes démocratiques se manifestent par l’érosion des distinctions sociales et l’uniformisation du mode vie. Les figures de l’altérité sont toujours présentes dans l’occident postrévolutionnaire du moins symboliquement. L’égalisation des individus ne passe pas par une uniformisation des codes vestimentaires, des plaisirs, des goûts. Au contraire, et G. Lipovtsy le remarque, le contrôle ne passe plus par la répression et la coercition, mais bien par la multiplicité des choix, par l’offre illimitée de possibilités de consommation sur mesure, adaptée à chacun.5 La culture hédoniste influe plutôt le rapport qu’entretient l’individu avec le monde. Chacun consomme ce qu’il veut, mais tous consomment de la même façon, à l’exception de quelques marginaux que l’on se plait à ostraciser. La consommation amplifiée par la construction capitaliste de nos sociétés et par ses aspirations hédonistes, s’explique par le culte de la nouveauté, de l’éclat, de la profusion. Les distinctions sociales dissipées, tous consomment selon les même principes et les seules différences perceptibles viennent de la répartition inégales des richesses. Cette uniformisation du rapport des individus au monde codifie les échanges et les relations selon un rapport marchand, consumériste.
S’ajoute à ces primats consuméristes et individualistes, une déresponsabilisation épidémique de l’individu qui ne devient qu’une simple bête cornue comme toutes les autres, respectueuses des barrières du système et soumises au champ de possibilités qu’elles délimitent. En plus de ne plus y avoir de berger contre qui se soulever, le système mis en place conforte les positions individuelles de chacun dans la jouissance narcissique de la consommation obsessive des plaisirs.
Ainsi, le culte du présent heureux surpasse l’idéal du progrès, la force dynamique de la machine moderne. Le seul avenir qui importe maintenant est celui de l’individu – ce qui explique ses inquiétudes permanentes face à sa situation future, et toute l’énergie qu’il met à se conserver. C’est le triomphe de la pensée utilitariste hédoniste; l’individu occidental postrévolutionnaire est prêt à sacrifier une part de sa jouissance immédiate, si cela lui permet de jouir plus longtemps. Tout est régulé selon le calcul des plaisirs possibles. Tout se centre sur les sens électrisés de l’individu replié sur lui-même, toujours désireux de jouir davantage. C’est dans cette marée de plaisirs sans cesse renouvelés que disparait la fraternité et avec elle l’idéal révolutionnaire. Le progrès persiste encore, à condition qu’il tende vers la possibilité d’une consommation exponentielle des plaisirs et une diminution constante des souffrances.
Peut-être que passé l’heure des révolutions, la fraternité perd sa raison d’être. Alors quelle force sociale permettra un possible renversement du système de valeur? Bêtes cornues de toutes les contrées, inutile de vous unir; il faut avant tout repenser la révolution soit pour l’abandonner, soit pour lui donner un nouveau sens.
Mais peut-être ai-je vu juste dans cet article, et personne ne jugera pertinent de voir plus loin que les barrières qui ont jusqu’ici obstruées notre vue. Dans ce cas, chers moutons de toutes les contrées, nous partageons les mêmes prés, mais nous ne sommes définitivement pas du même monde.
Arnaud Petit
Les monarchies ont perduré pendant des siècles, mais n’ont pas su mettre en place des mécanismes efficaces pour assurer la pérennité de cette organisation sociale. Les dictatures ont assis leur pouvoir sur des mesures de répressions et d’importantes campagnes de propagandes. Les régimes autoritaires, aspirant à l’immuabilité de leur système social, ont développé des mécanismes de contrôle – que ce soit par la censure ou la persécution – de leurs opposants. Pourtant, aucun de ces outils de répressions n’a réussi à prémunir les organes du pouvoir de la chute.
Il faudra ainsi attendre l’avènement de la postmodernité pour trouver de nouvelles armes pour assurer l’inertie sociale et la stabilité immuable d’une société libre et égalitaire. N’y voyez pas l’annonce d’un nouveau 1984. Le contrôle ne passe plus par un vaste réseau de dénonciateurs ou la peur de mesures disciplinaires répressives. Le troupeau n’a plus besoin d’un berger pour le diriger; tous se complaisent dans le rôle de la bête cornue et se soumettent aux barrières qu’on leur a bâties… que nous nous sommes bâties.
Les nouvelles mesures de contrôle et d’érosion idéologique ne sont plus mises en place par une caste dirigeante; elles sont le résultat d’une société héritée de l’idéal des Lumières à l’exception prêt que la liberté et plus particulièrement l’égalité a mené à la mort de la fraternité. Les valeurs démocratiques sont la première cause de la stabilité de la société occidentale postrévolutionnaire. L’ordre nait de la reconnaissance des possesseurs du pouvoir politique. Le carcan des sociétés démocratiques, qui, comme tout système social, délimite le parc humain et ses champs de possibilités, parvient à neutraliser toute dynamique de soumission des masses à une autorité dirigeante supérieure en faisant de ces mêmes masses les nouveaux détenteurs du pouvoir. Avec le rejet de l’organisation sociale hiérarchisée, les masses ont perdu la capacité de renverser l’ordre établi au profit d’une nouvelle dynamique sociale résultant de la transformation du système de valeurs auparavant accepté. L’acceptation que l’histoire se construit par opposition idéologique et déchirement social résultant des distinctions hiérarchiques1 implique une stagnation du système de valeur et des mécanismes sociétaux de l’occident postrévolutionnaire. La disparition de l’inégalité comme axiome du système social érode l’un des éléments essentiels au mouvement révolutionnaire : un ennemi commun. Les forces de coercitions autorégulant le système social ne sont plus des individus contre lesquels nous pouvons nous ériger, mais bien un ensemble de contraintes idéologiques délimitant les champs de possibilités jugés acceptables et condamnant les remises en question des barrières.
De plus, les constructions sociales démocratiques érodent les forces individuelles au profit de la volonté collective. L’ordre, en tant que structure régulatrice, suit les fluctuations des mouvements majoritaires et soustrait les forces du changement aux volontés individuelles. L’idéal égalitaire fait ici son œuvre; l’individu n’est plus qu’une voix parmi tant d’autres identiques et dont l’impact s’étiole jusqu’à ne devenir qu’un bulletin de vote. Cette construction collective d’un pouvoir morcelé ne contribue à l’inertie du système qu’à condition que l’individu se replie sur lui-même. Ainsi l’aspiration égalitaire, en plus de justifier le pouvoir de la majorité, entraîne un repliement narcissique sur soi, un individualisme exacerbé2. Ces deux conditions remplies, les forces de changement s’amenuisent jusqu’à se dissiper et disparaître. L’opposition fait certes parti intégrante de l’organisation politique des systèmes démocratiques3, mais elle ne remet pas en question ledit système. La politique se met à la séduction, au culte de la mode et de l’éphémère. Les dernières bribes d’idéologie fluctuent au rythme des sondages et toutes muent, débarrassées de leur peau morte. Il n’y a plus d’opposition idéologique ferme; maintenant, le combat se livre pour le centre, pour les valeurs érodées et consensuelles qui confortent l’individu dans le fard de son reflet. En cette ère de séduction effrénée, il faut plaire en tout temps, en tout lieu et à tous…4
Les forces égalisatrices qui régulent les systèmes démocratiques se manifestent par l’érosion des distinctions sociales et l’uniformisation du mode vie. Les figures de l’altérité sont toujours présentes dans l’occident postrévolutionnaire du moins symboliquement. L’égalisation des individus ne passe pas par une uniformisation des codes vestimentaires, des plaisirs, des goûts. Au contraire, et G. Lipovtsy le remarque, le contrôle ne passe plus par la répression et la coercition, mais bien par la multiplicité des choix, par l’offre illimitée de possibilités de consommation sur mesure, adaptée à chacun.5 La culture hédoniste influe plutôt le rapport qu’entretient l’individu avec le monde. Chacun consomme ce qu’il veut, mais tous consomment de la même façon, à l’exception de quelques marginaux que l’on se plait à ostraciser. La consommation amplifiée par la construction capitaliste de nos sociétés et par ses aspirations hédonistes, s’explique par le culte de la nouveauté, de l’éclat, de la profusion. Les distinctions sociales dissipées, tous consomment selon les même principes et les seules différences perceptibles viennent de la répartition inégales des richesses. Cette uniformisation du rapport des individus au monde codifie les échanges et les relations selon un rapport marchand, consumériste.
S’ajoute à ces primats consuméristes et individualistes, une déresponsabilisation épidémique de l’individu qui ne devient qu’une simple bête cornue comme toutes les autres, respectueuses des barrières du système et soumises au champ de possibilités qu’elles délimitent. En plus de ne plus y avoir de berger contre qui se soulever, le système mis en place conforte les positions individuelles de chacun dans la jouissance narcissique de la consommation obsessive des plaisirs.
Ainsi, le culte du présent heureux surpasse l’idéal du progrès, la force dynamique de la machine moderne. Le seul avenir qui importe maintenant est celui de l’individu – ce qui explique ses inquiétudes permanentes face à sa situation future, et toute l’énergie qu’il met à se conserver. C’est le triomphe de la pensée utilitariste hédoniste; l’individu occidental postrévolutionnaire est prêt à sacrifier une part de sa jouissance immédiate, si cela lui permet de jouir plus longtemps. Tout est régulé selon le calcul des plaisirs possibles. Tout se centre sur les sens électrisés de l’individu replié sur lui-même, toujours désireux de jouir davantage. C’est dans cette marée de plaisirs sans cesse renouvelés que disparait la fraternité et avec elle l’idéal révolutionnaire. Le progrès persiste encore, à condition qu’il tende vers la possibilité d’une consommation exponentielle des plaisirs et une diminution constante des souffrances.
Peut-être que passé l’heure des révolutions, la fraternité perd sa raison d’être. Alors quelle force sociale permettra un possible renversement du système de valeur? Bêtes cornues de toutes les contrées, inutile de vous unir; il faut avant tout repenser la révolution soit pour l’abandonner, soit pour lui donner un nouveau sens.
Mais peut-être ai-je vu juste dans cet article, et personne ne jugera pertinent de voir plus loin que les barrières qui ont jusqu’ici obstruées notre vue. Dans ce cas, chers moutons de toutes les contrées, nous partageons les mêmes prés, mais nous ne sommes définitivement pas du même monde.
Arnaud Petit
1 Ces distinctions hiérarchiques prirent souvent la forme de classes sociales.
2 J’apporte une interprétation des causes de l’isolement narcissique dans mon précédent article, «Le nouveau reflet de Narcisse» publié dans l’édition du mois d’avril 2010 de la revue Le Civitas.
3 Nous n’avons qu’à penser à la structure parlementaire du Canada et de ses provinces, ou une opposition est toujours présente pour faire contrepoids au parti au pouvoir.
4 À ce sujet, il est important d’ajouter, que la quête sans cesse renouvelée de la majorité, qu’emmène la construction sociale démocratique, transforme la dynamique politique et atténue les combats antagonistes au profil d’une parade souriante prête à se vendre pour un peu de pouvoir.
5 Gilles Lipovetsky et Sébastien Charles, Les Temps hypermodernes, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2004.
2 J’apporte une interprétation des causes de l’isolement narcissique dans mon précédent article, «Le nouveau reflet de Narcisse» publié dans l’édition du mois d’avril 2010 de la revue Le Civitas.
3 Nous n’avons qu’à penser à la structure parlementaire du Canada et de ses provinces, ou une opposition est toujours présente pour faire contrepoids au parti au pouvoir.
4 À ce sujet, il est important d’ajouter, que la quête sans cesse renouvelée de la majorité, qu’emmène la construction sociale démocratique, transforme la dynamique politique et atténue les combats antagonistes au profil d’une parade souriante prête à se vendre pour un peu de pouvoir.
5 Gilles Lipovetsky et Sébastien Charles, Les Temps hypermodernes, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 2004.
Commentaires
Jacques Lafond le 05/05/2010 Ã 17h31
M. Petit, vos pirouettes et galipettes littéraires rendent votre texte déjà insignifiant, mortellement ennuyeux. Vous connaissez de beaux et longs mots, bravo! Je suis d'accord avec un des commentaires précédents... un trop grand usage de mots vides de sens fait transparaitre un manque de culture et de raffinement intellectuel. Si vous voulez vous démarquer, écrivez donc de vrais articles qui informeraient les lecteurs sur des enjeux actuels, tout en conservant l'intérêt au-delà de la deuxième phrase. Cordialement.
goijgoijrogijeoirjgoieru le 28/08/2010 Ã 19h49
hahahahahahahahahahahahahahaha jacques lafond ta trop raison