« Penser par soi-même »

Une démocratie bancale


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Le règne particulier du Parti conservateur du Canada qui dure depuis 2006 est tacheté de pratiques bien étonnantes de la part du gouvernement d’un pays occidental. Le mandat de Stephen Harper étale sur la politique canadienne une teinte foncée de totalitarisme voilée par des stratégies adroites et précises. Ainsi, le Canada, par ces colorations obscures et subtiles, semble être plongé dans un nouvel âge de la démocratie canadienne moderne : un âge sombre.

Un premier ministre qui se prend pour le Terminator des sessions parlementaires et qui met en liste noire les journalistes qu’il craint1>, des votes de confiance qui témoignent plus de l’incapacité de l’opposition à se lancer en élection que de la réelle confiance générale de la chambre, un État qui menace et musèle ses fonctionnaires2, des députés qui tiennent un discours vide et qui contrôlent l’information sortante : autant de pratiques politiques douteuses qui inspirent inévitablement des doutes quant à la viabilité de la démocratie canadienne.

En 2003, Jean Chrétien a interrompu l’activité du Parlement au moment du dépôt du rapport Fraser sur le scandale des commandites et des résultats de l’enquête sur la torture de civils somaliens. Le 3 mars 2010, les sièges de la Chambre des communes étaient dépoussiérés après que Stephen Harper ait esquivé les questions sur les détenus afghans en prorogeant la Chambre pour la deuxième fois. La démocratie a mal vieilli, elle consiste maintenant en un superficiel jeu de stratégies où c’est celui qui manœuvre avec le plus de finesse qui gagne, et non celui qui a les plus ingénieuses et les plus raisonnables idées. Le problème ici est plus profond que de simples déceptions et scandales occasionnels; il s’agit d’une déformation chronique des idéaux et d’une conception bancale de la démocratie. Il ne s’agit pas de corruption, bien que celle-ci en soit une conséquence directe, mais de l’indifférence malsaine qui l’engendre et ne la condamne pas. Des décisions comme celle de proroger la Chambre n’ont aucune assise en démocratie : il ne s’agit que d’une tactique qui a pour effet d’éviter au parti au pouvoir de faire face à des situations précaires. Certes, la prorogation a peut-être sa place dans certains cas de crises, mais la démarche y menant doit devenir plus imputable et transparente. Le premier ministre doit avoir de bonnes raisons pour mettre fin aux débats en Chambre.

Ce qui est impératif est peut-être un retour à certaines notions qu’on semble avoir oublié. Il ne faut pas s’imaginer ici se rendre, enroulés dans des draps blancs, au Parlement et de tous voter les lois, mais plutôt d’un retour à des concepts honorables. : Il faut des débats clairs et pertinents, gardés de sophismes, et qui ne peuvent avoir comme fruit que de légitimes décisions qui s’avéreront plus représentatives des besoins de la société. Cela requiert aussi la diffusion à grande échelle d’une information diversifiée et de qualité, car rien n’est plus important que la compréhension dans l’exercice du droit de vote, ainsi que la bonne et raisonnable volonté, tant de la part des élus que de celle des électeurs. Cet échiquier complexe et vide doit être remplacé par la vérité, la raison et la vertu. Ces idées sont peut-être bien utopiques, mais ne s’agit-il pas là d’idéaux vers lesquels notre société devrait tendre? La démocratie canadienne doit être épurée de ces pratiques dont l’essence est tout simplement stratégique.
1 Hélène Buzzetti, Présidente de la tribune de la presse parlementaire canadienne et journaliste du journal Le Devoir.
2 Allan S. Cutler, ex-fonctionnaire fĂ©dĂ©ral et prĂ©sident de l’organisme « Canadians for Accountability Â», qui a pour but la protection des dĂ©nonciateurs politiques.

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