Dieu, la patrie et le libre marché
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« Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux [en droits] qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres : ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine. »1
Les théories de la justice ont toutes en commun un concept dont la définition objective nous paraît indéterminable : l’égalité. L’égalité, certes, mais l’égalité de quoi? Devrions-nous limiter cette notion à l’égalité devant la loi? Ou plutôt à l’égalité des chances, ou même à une certaine égalité des possessions matérielles? Face à de telles questions, peu prétendent avoir toutes les réponses, mais une chose reste certaine : l’inégalité sordide qui s’abat sur le monde ne découle d’aucune théorie, si ce n’est celle de l’égoïsme hideux des plus grands joueurs de ce système, lui-même pensé et entretenu par des gens qui ont généralisé à l’ensemble du monde le fait qu’ils reconnaissent en eux des hommes qui ne pensent qu’à leur propre réussite et qui désirent infiniment plus, que ce soit au profit ou aux dépens des autres.
Depuis le mandat de Reagan en 1980, une restructuration de l’économie fut fondée sur le fait que la richesse d’une classe d’élite est bénéfique pour l’ensemble de la population. Le rapport maximum de salaire entre un PDG et un employé est passé de 40 en 1980 à 411 en 2005 2. Les économistes néolibéraux, dont Milton Friedman, récipiendaire du prix Nobel de l’économie, croyaient, comme les Américains croient en Dieu et en la grandeur de leur nation, que le libre marché – l’offre et la demande à leur état pur – est l’outil le plus efficace pour assurer la distribution juste d’une richesse inégalable. À ce sujet, Milton Friedman, dans une entrevue accordée à Jamie Johnson lors de son excellent reportage « The one percent », car les 1 % plus riches des États-Unis posséderaient 42 % de la richesse totale du pays, affirme que l’écart grandissant entre riches et pauvres est bon pour l’ensemble, car il a permis une légère croissance en revenu réel du quintile inférieur de 1970 à 2006, et que si l’écart était resté pareil, il n’y aurait simplement pas eu de croissance. Il ajoute aussi au sujet de la caméra qui sert à filmer l’entrevue que « That engine is ambition and drive to become wealthy ».
Un rapport publié par l’OCDE en octobre 2008 tend à renverser ces propositions.3 Au Danemark, en Finlande et en Suède, les 10 % plus riches ont un revenu en moyenne 5 fois plus élevé que les 10 % les plus pauvres (la Norvège suit non loin derrière). Ce ratio est de 15 aux États-Unis, troisième plus élevé parmi les pays membres de l’OCDE derrière la Turquie et le Mexique. En effet, une corrélation négative non négligeable (coefficient de corrélation = -0.67) peut être observée entre le fardeau fiscal moyen et les inégalités de revenu (le fardeau fiscal scandinave est en moyenne de 45 % contre 24 % pour la moyenne des Turcs, Mexicains et Américains.4 ).
De plus, non seulement les pays scandinaves affichent-ils des inégalités inférieures, mais ils assurent une diminution encore plus importante des écarts en redistribuant la richesse davantage. Par ailleurs, le taux de pauvreté des conditions de vie en Scandinavie oscille entre 5 % et 6 % alors qu’il est autour de 15 % aux États-Unis. La mobilité salariale quant à elle (comparaison entre les revenus du père et du fils pour mesurer l’égalité des chances ; plus le nombre se rapproche de 100 %, plus il y a égalité des chances) se chiffre à 53 % aux États-Unis alors qu’elle excède 80 % en Norvège, en Finlande et au Danemark. Une corrélation peut d’ailleurs être observée entre la mobilité salariale et les inégalités de revenus. Bref, il est superflu de croire que l’écart sans cesse croissant entre riches et pauvres est nécessaire et bon pour tous comme le soutiennent Milton Friedman et la classe dirigeante républicaine américaine. Les pays scandinaves, qui en plus de redistribuer plus efficacement la richesse et d’avoir un écart entre riches et pauvres qui est moindre, connaissent une bonne croissance économique. Le revenu national brut par habitant en Norvège se chiffre à 76 450 $US en 2008, à 54 910 $US au Danemark, à 46 060 $US en Suède et à 44 400 $US en Finlande alors qu’il est de 46 040 $US aux États-Unis sans compter le fait qu’en Norvège, la moyenne d’heures travaillées par année par employé est en 2006 de 1345, de 1517 au Danemark, de 1580 en Suède, de 1718 en Finlande et de 1822 aux États-Unis.5
D’autre part, le capitalisme a pour axiome que la volonté égoïste de s’enrichir de façon illimitée profite à l’ensemble. C’est exactement ce que démontre Milton Friedman en se servant de l’objet qui sert à filmer l’entrevue comme exemple. Selon ces théoriciens, les taxes et impôts ou toute autre forme de redistribution de la richesse ont pour effet de démotiver les entrepreneurs et travailleurs qui, théoriquement, face à un taux d’imposition de 100 % ne produisent plus rien.
Cette conception de l’homme est sans aucun doute simpliste et fausse. Les citoyens danois sont heureux de payer des impôts, car le fisc veut leur bien. Il est donc possible que l’homme parvienne à un certain équilibre entre le désir de s’enrichir et le désir de contribuer à améliorer le bien-être de ses concitoyens. Alors que la droite est élitiste, la social-démocratie aspire à une égalité raisonnable non seulement en droits, mais en chances et en revenu, tout en maintenant la possibilité de jouir de ses efforts. On observe qu’elles connaissent une croissance tout aussi importante que celle des pays de droite en plus d’assurer des services essentiels à l’ensemble de la population, elle-même plus égalitaire. Il est important de garder ces notions en tête alors que le gouvernement conservateur devra prochainement pallier un déficit qu’il prévoit éliminer rapidement à l’aide de coupures budgétaires importantes au sein de services indispensables, et, paradoxalement, en diminuant les impôts des sociétés. Ces tendances vers la libéralisation des marchés, typiquement conservatrices, se doivent d’être remise en question, chose rarement faite au sein des universités et médias américains et trop peu du côté des institutions canadiennes.
Bien que le phénomène des inégalités soit vaste et complexe, il n’est pas inévitable et bon comme le soutient la droite. Même si la social-démocratie ne peut pas à elle seule régler toutes les inégalités, son efficacité a été démontrée et cela sans avoir d’effets néfastes sur la croissance. Est-il raisonnable qu’un chef d’entreprise américain ou canadien gagne le salaire moyen de son pays en quelques heures de travail? Alors que le dogme néolibéral prétend prêcher un système économique moral, à vous de juger si Paul Orfalea, le fondateur de Kinko’s (magasins de fournitures scolaires et de photocopies maintenant sous propriété de Fedex contenant plus de 22 000 employés), répond à vos standards moraux quand il répond, quand on lui demande s’il voudrait remporter des centaines de millions de dollars de plus que ce qu’il remporte déjà : « Yea…yes, hell yes…yea, I want to have a hell of a lot more…well one day I would like to go to the moon and look at the planet Earth and say urghh…that’s part of my perfolio. »
Les théories de la justice ont toutes en commun un concept dont la définition objective nous paraît indéterminable : l’égalité. L’égalité, certes, mais l’égalité de quoi? Devrions-nous limiter cette notion à l’égalité devant la loi? Ou plutôt à l’égalité des chances, ou même à une certaine égalité des possessions matérielles? Face à de telles questions, peu prétendent avoir toutes les réponses, mais une chose reste certaine : l’inégalité sordide qui s’abat sur le monde ne découle d’aucune théorie, si ce n’est celle de l’égoïsme hideux des plus grands joueurs de ce système, lui-même pensé et entretenu par des gens qui ont généralisé à l’ensemble du monde le fait qu’ils reconnaissent en eux des hommes qui ne pensent qu’à leur propre réussite et qui désirent infiniment plus, que ce soit au profit ou aux dépens des autres.
Depuis le mandat de Reagan en 1980, une restructuration de l’économie fut fondée sur le fait que la richesse d’une classe d’élite est bénéfique pour l’ensemble de la population. Le rapport maximum de salaire entre un PDG et un employé est passé de 40 en 1980 à 411 en 2005 2. Les économistes néolibéraux, dont Milton Friedman, récipiendaire du prix Nobel de l’économie, croyaient, comme les Américains croient en Dieu et en la grandeur de leur nation, que le libre marché – l’offre et la demande à leur état pur – est l’outil le plus efficace pour assurer la distribution juste d’une richesse inégalable. À ce sujet, Milton Friedman, dans une entrevue accordée à Jamie Johnson lors de son excellent reportage « The one percent », car les 1 % plus riches des États-Unis posséderaient 42 % de la richesse totale du pays, affirme que l’écart grandissant entre riches et pauvres est bon pour l’ensemble, car il a permis une légère croissance en revenu réel du quintile inférieur de 1970 à 2006, et que si l’écart était resté pareil, il n’y aurait simplement pas eu de croissance. Il ajoute aussi au sujet de la caméra qui sert à filmer l’entrevue que « That engine is ambition and drive to become wealthy ».
Un rapport publié par l’OCDE en octobre 2008 tend à renverser ces propositions.3 Au Danemark, en Finlande et en Suède, les 10 % plus riches ont un revenu en moyenne 5 fois plus élevé que les 10 % les plus pauvres (la Norvège suit non loin derrière). Ce ratio est de 15 aux États-Unis, troisième plus élevé parmi les pays membres de l’OCDE derrière la Turquie et le Mexique. En effet, une corrélation négative non négligeable (coefficient de corrélation = -0.67) peut être observée entre le fardeau fiscal moyen et les inégalités de revenu (le fardeau fiscal scandinave est en moyenne de 45 % contre 24 % pour la moyenne des Turcs, Mexicains et Américains.4 ).
De plus, non seulement les pays scandinaves affichent-ils des inégalités inférieures, mais ils assurent une diminution encore plus importante des écarts en redistribuant la richesse davantage. Par ailleurs, le taux de pauvreté des conditions de vie en Scandinavie oscille entre 5 % et 6 % alors qu’il est autour de 15 % aux États-Unis. La mobilité salariale quant à elle (comparaison entre les revenus du père et du fils pour mesurer l’égalité des chances ; plus le nombre se rapproche de 100 %, plus il y a égalité des chances) se chiffre à 53 % aux États-Unis alors qu’elle excède 80 % en Norvège, en Finlande et au Danemark. Une corrélation peut d’ailleurs être observée entre la mobilité salariale et les inégalités de revenus. Bref, il est superflu de croire que l’écart sans cesse croissant entre riches et pauvres est nécessaire et bon pour tous comme le soutiennent Milton Friedman et la classe dirigeante républicaine américaine. Les pays scandinaves, qui en plus de redistribuer plus efficacement la richesse et d’avoir un écart entre riches et pauvres qui est moindre, connaissent une bonne croissance économique. Le revenu national brut par habitant en Norvège se chiffre à 76 450 $US en 2008, à 54 910 $US au Danemark, à 46 060 $US en Suède et à 44 400 $US en Finlande alors qu’il est de 46 040 $US aux États-Unis sans compter le fait qu’en Norvège, la moyenne d’heures travaillées par année par employé est en 2006 de 1345, de 1517 au Danemark, de 1580 en Suède, de 1718 en Finlande et de 1822 aux États-Unis.5
D’autre part, le capitalisme a pour axiome que la volonté égoïste de s’enrichir de façon illimitée profite à l’ensemble. C’est exactement ce que démontre Milton Friedman en se servant de l’objet qui sert à filmer l’entrevue comme exemple. Selon ces théoriciens, les taxes et impôts ou toute autre forme de redistribution de la richesse ont pour effet de démotiver les entrepreneurs et travailleurs qui, théoriquement, face à un taux d’imposition de 100 % ne produisent plus rien.
Cette conception de l’homme est sans aucun doute simpliste et fausse. Les citoyens danois sont heureux de payer des impôts, car le fisc veut leur bien. Il est donc possible que l’homme parvienne à un certain équilibre entre le désir de s’enrichir et le désir de contribuer à améliorer le bien-être de ses concitoyens. Alors que la droite est élitiste, la social-démocratie aspire à une égalité raisonnable non seulement en droits, mais en chances et en revenu, tout en maintenant la possibilité de jouir de ses efforts. On observe qu’elles connaissent une croissance tout aussi importante que celle des pays de droite en plus d’assurer des services essentiels à l’ensemble de la population, elle-même plus égalitaire. Il est important de garder ces notions en tête alors que le gouvernement conservateur devra prochainement pallier un déficit qu’il prévoit éliminer rapidement à l’aide de coupures budgétaires importantes au sein de services indispensables, et, paradoxalement, en diminuant les impôts des sociétés. Ces tendances vers la libéralisation des marchés, typiquement conservatrices, se doivent d’être remise en question, chose rarement faite au sein des universités et médias américains et trop peu du côté des institutions canadiennes.
Bien que le phénomène des inégalités soit vaste et complexe, il n’est pas inévitable et bon comme le soutient la droite. Même si la social-démocratie ne peut pas à elle seule régler toutes les inégalités, son efficacité a été démontrée et cela sans avoir d’effets néfastes sur la croissance. Est-il raisonnable qu’un chef d’entreprise américain ou canadien gagne le salaire moyen de son pays en quelques heures de travail? Alors que le dogme néolibéral prétend prêcher un système économique moral, à vous de juger si Paul Orfalea, le fondateur de Kinko’s (magasins de fournitures scolaires et de photocopies maintenant sous propriété de Fedex contenant plus de 22 000 employés), répond à vos standards moraux quand il répond, quand on lui demande s’il voudrait remporter des centaines de millions de dollars de plus que ce qu’il remporte déjà : « Yea…yes, hell yes…yea, I want to have a hell of a lot more…well one day I would like to go to the moon and look at the planet Earth and say urghh…that’s part of my perfolio. »
1 Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique
2 Jamie Johnson, The one percent
3 Croissance et inégalités : l’évolution de la pauvreté et des revenus ces 20 dernières années. OCDE, 2008
4 New York Times, tax burdens around the world.
5 La Banque Mondiale et l’OCDE
2 Jamie Johnson, The one percent
3 Croissance et inégalités : l’évolution de la pauvreté et des revenus ces 20 dernières années. OCDE, 2008
4 New York Times, tax burdens around the world.
5 La Banque Mondiale et l’OCDE
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